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26/09/2025 | Rédacteur: Épilogue

Témoignages anonymisés : sont-ils probants ?

Face à des comportements perturbateurs dans l’entreprise, l’employeur peut se retrouver dans l’impossibilité de recueillir des témoignages circonstanciés sans anonymiser leurs auteurs, et l’exercice du droit à la preuve se heurte alors au principe du contradictoire, pilier du procès équitable.

Dans un arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation est venue clarifier le régime de recevabilité et de valeur probante des témoignages anonymisés, dans le contexte d’un licenciement disciplinaire.

En l’espèce, un salarié licencié pour faute grave contestait la mesure, au motif que l’employeur s’appuyait exclusivement sur deux constats de Commissaire de justice, lesquels recueillaient des témoignages anonymes de collègues relatant un comportement agressif et des manquements professionnels.

En appel, la juridiction avait écarté ces éléments, les considérant comme étant non probants, et retenant que leur anonymat était incompatible avec le respect du principe du contradictoire. Pour la Cour d’appel, le licenciement était par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation, qui rappelle en premier lieu que des témoignages anonymisés (rendus anonymes a postériori afin de protéger leurs auteurs, l’identité étant connue de l’employeur) peuvent être pris en compte si leur contenu est corroboré par d’autres éléments de preuve, permettant au juge d’en apprécier la crédibilité.

A défaut, le magistrat doit opérer une mise en balance entre le droit à la preuve et les droits à la défense, en appréciant l’équité de la procédure dans son ensemble.

La Haute juridiction précise ensuite que l’employeur, tenu à une obligation de sécurité envers les salariés (articles L 4121-2 et L 4121-2 du Code du travail), peut justifier l’usage de témoignages anonymisés par la nécessité de protéger les salariés contre d’éventuelles représailles.

En l’espèce, les craintes exprimées par les collègues, conjuguées au fait que le salarié avait été affecté à un autre poste en raison de comportements similaires, rendaient indispensable l’usage des témoignages à l’origine du contentieux, et dont l’atteinte portée aux droits de la défense était strictement proportionnée.

Pour la chambre sociale, écarter des débats les témoignages anonymisés reviendrait à restreindre le droit de preuve dont dispose l’employeur, en méconnaissance notamment des exigences européennes (article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme).

Cette décision s’inscrit dans une tendance de libéralisation en matière de droit à la preuve, initiée par la Cour de cassation en 2023 au sujet d’enregistrements clandestins (Cass., Ass. plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648).

Désormais, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.

Il revient alors au juge d’apprécier si une preuve contestée (car anonymisée ou obtenue de manière illicite ou déloyale) porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.

Référence de l’arrêt : Cass. soc du 19 mars 2025, n°23-19.154

Cass. soc du 19 mars 2025, n°23-19.154